Nous avons tous vécu la crise de la pandémie comme nous le pouvions : avec nos peurs, nos impatiences et nos moments d’espoir. On le sait, cette crise laissera des marques indélébiles dans nos vies et il est probablement encore trop tôt pour réaliser pleinement ce qui nous arrive. Il faut une bonne distance pour mesurer les conséquences d’un épisode aussi tumultueux. Prenons quand même le temps de nous arrêter afin de palper le pouls des entraineurs et des élèves qui ont vécu leur sport-études comme jamais d’autres l’ont vécu auparavant. Nous avons réalisé ces rencontres vers la fin de l’année scolaire 2021, les élèves qui ont été rencontrés ont donc terminé une année de secondaire de plus et deux d’entre eux ont fait le saut au cégep depuis.
En juin dernier, le groupe d’entraineurs mandaté pour diriger les élèves inscrits à l’un des quatre sports-études offerts au Centre Multisports, peaufinait ses derniers entrainements afin de mettre un terme à une année scolaire bien particulière. Au crépuscule d’un printemps que nul n’oubliera, tous ont poussé un soupir de soulagement en disant : mission accomplie! Claude David en athlétisme, Étienne Bergeron en tennis, Michael Gagné en sports cyclisme, Jade Pinsonneault en gymnastique et Vanessa Ringuette en cheerleading et sports acrobatiques ont vécu la crise à leur façon, avec des yeux d’entraineur et aussi avec leurs yeux d’humain sensible à la santé mentale des élèves : J’ai agréablement été surpris, ç’a été une belle année malgré les inconvénients que nous avons vécus, affirme Claude David. Je pense qu’on a quand même réalisé, à part les compétitions, qu’on a été chanceux. Ç’a été la même approche. J’ai tout le temps préparé, que ce soit en début de saison, pour amener l’athlète à son plein potentiel au mois de juillet. En tennis, Étienne Bergeron, entraineur depuis un quart de siècle, avoue avoir connu une année particulièrement éprouvante : « Y’a des journées que c’était pas facile ici, y’a des journées qu’on a été moins productifs niveau tennis, mais on a pris le temps de s’asseoir, on a pris le temps de faire autre chose que du tennis, observe celui qui a fondé son école, EB Tennis, en 1992. Le tennis, c’est une affaire, mais la vie de tous les jours, ça, c’est une autre chose. On a eu des mauvais moments. Les jeunes sont humains et se sont fait passer dans le tordeur, que ce soit à l’école ou dans la vie de tous les jours. » Déjà, après quelques entrevues, on sent la résilience et l’adaptation qu’ont intégrées les entraineurs à leur vie dans le but de maintenir la tête hors de l’eau. La leur et celle de leurs élèves.
En allant jeter un coup d’œil dans la salle du gym fit ce jour-là, il était facile de constater l’absence des membres réguliers du Centre Multisports. Au printemps, faut-il le rappeler, le centre était fermé à tous à l’exception des élèves inscrits dans un sport-études. Une situation particulière pour les jeunes qui ont su profiter d’un certain privilège : « Ç’a bien été dans l’ensemble, mentionne Michael Gagné. On a su s’adapter, on a su ajuster en conséquence, en fonction des mesures. Les jeunes ont été extrêmement choyés de pouvoir poursuivre leur sport. Il y a eu des pour et des contres. » On devine facilement que l’ensemble des sport-études au Québec et ailleurs au pays a subi les contrecoups de la pandémie. Mais certains sports l’ont peut-être ressenti de façon plus directe que d’autres. C’est à tout le moins ce qu’on pourrait penser de la pratique du cheerleading où les contacts entre élèves sont à la base même des exercices proposés : « Il a fallu se réinventer un petit peu, confirme Vanessa Ringuette. Avec le sport-études, ç’a été quand même facile parce qu’on travaillait déjà de façon individuelle. Mais pour ce qui est des stunts (les petits groupes d’élèves qui exécutent les acrobaties), il a fallu aller dans l’originalité. Nos athlètes, au lieu de lever des humains, lèvent des tapis dans le gymnase pour continuer de travailler leur habileté ». Tous les entraineurs sans exception ont eu un mot pour l’équipe, pour la famille, pour l’unité qu’ils ont su créer pour souder les liens en ces temps où chaque geste compte : « Je mentirais de dire que ça été une année ultra facile, on a eu des moments plus difficiles, mais en se parlant en équipe, en essayant de se motiver, on est une belle équipe. Une partie de nos entraineurs a pu continuer de travailler, on a pu échanger avec eux et ç’a faite une différence », précise Jade Pinsonneault.
Les élèves dans tout ça, les premiers bénéficiaires des sport-études, semblent avoir traversé cette crise la tête haute en réalisant l’importance de l’exercice physique dans la vie en général et dans une situation de crise comme celle que nous avons vécu en particulier : « Si je n’avais pas mon sport, je ne pense pas que j’aurais été capable de passer à travers l’année difficile qu’on a eu, admet Emma Dumoulin, raquette de tennis à la main et élève de secondaire 5 au Chêne Bleu. J’avais des états up and down, vraiment beaucoup, mais quand je venais à mon sport j’étais toujours stable, j’avais envie d’être là, j’avais du plaisir. Honnêtement c’est ce qui m’a aidé à traverser la crise cette année. » Du côté du jeune athlète Mathias Robichaud, élève de secondaire 3 inscrit au programme d’athlétisme, le son de cloche est identique : « Sans le sport, ç’aurait été beaucoup plus compliqué. Avec le sport, j’étais plus détendu, j’arrivais à la maison, j’étais plus tranquille, j’étais plus sain, je me sentais bien. » Son collègue Étienne Poupart, élève de secondaire 4, se fait philosophe et parle d’un contexte différent pour chaque jeune : « Ç’a affecté vraiment les jeunes sur un autre niveau, croit-il. On peut essayer de l’imaginer, mais reste que chaque jeune vit différemment ce qu’ils ressentent. »
En traversant dans la salle où les jeunes s’élancent des poutres en réalisant des acrobaties que leurs parents n’osent plus faire, Emmie Charron profite du moment présent. Maintenant à sa deuxième année de CÉGEP, elle s’entraine habituellement avec ses consœurs du sport-études, mais une longue pause l’a contrainte à rester loin des barres et des tapis qu’elle fréquente depuis son secondaire 1 : « C’est vraiment décourageant, avoue-t-elle. La gym, ce n’est pas un sport que tu peux arrêter et recommencer comme si de rien n’était. Chaque fois que tu arrêtes, faut que tu reviennes et faire tous les mouvements de base et après ça tu peux retravailler ce qu’on appelle l’évolution, les mouvements qu’on veut faire pour monter de niveau. Il y a d’autres athlètes aussi qui ne peuvent pas s’entrainer, y’a pas juste moi, et on sait qu’on pourrait être rendu vraiment plus loin. On a été beaucoup ralenti. » De l’autre côté du mur, dans la salle où se trouve le gym fit, Félix Paré achève sa toute dernière journée d’entrainement après avoir passé cinq années au sein du programme Sports cyclisme. Entre deux séances de musculation, il explique comment il entrevoit sa saison sans les compétitions habituelles. Les élèves carburent bien souvent à ces rendez-vous, car ils permettent de mesurer leur progression : « Je me dis que plus les compétitions sont remises, plus j’ai de temps pour me préparer, ce qui m’aide à me donner un petit boost d’énergie, constate-t-il. Ça n’a pas toujours été facile de trouver l’énergie et la motivation, mais lorsque je regarde mon but à atteindre, ça me donne de l’énergie et je suis capable de continuer comme ça même si c’est difficile ».
On entend bien souvent les gens dirent que c’est dans l’adversité qu’on devient plus fort. Est-ce réellement ce que les jeunes ont envie d’entendre en ces temps où les repères vacillent, où même certains parents peinent à garder la tête hors de l’eau? À écouter les entraineurs, les leçons de vie apprises par les jeunes sportifs inscrits dans un sport-études au Centre Multisports pendant la pandémie devraient les suivre toute leur vie : « Ils vont apprécier ce qu’ils ont pu vivre pendant que la plupart des gens étaient frustrés, estime Claude David. Eux ont pu vivre leur sport, cinq fois semaine, sans contraintes. » Étienne Bergeron, lui, se demande qu’est-ce qui pourra bien les affecter après cette crise-là : « Ils ont vécu bien des affaires pour leur jeune âge, ce qui est du jamais vu dans nos générations. Ils vont être plus forts », espère-t-il. Du côté des entraineuses de gymnastique et de cheerleading, Jade et Vanessa parlent de chance et de persévérance : « Je pense qu’ils vont retenir la chance qu’ils ont eu de s’entrainer, parce qu’on a des sœurs et des frères qui ne s’entrainent pas en ce moment », signale Jade Pinsonneault. « Les athlètes vont retenir la persévérance de ne pas lâcher, peu importe ce qui arrive, d’être flexible », croit pour sa part Vanessa Ringuette. Le kinésiologue Michael Gagné avance quant à lui que les parents ont eu leur rôle à jouer et que sans eux, la situation n’aurait pas été la même : « Malgré les embuches, les parents ont fait part d’une belle collaboration, d’une belle ouverture, témoigne-t-il. Au lieu de pointer du doigt, on trouvait des solutions. Je remercie les parents d’avoir fait partie de cette année-là de pandémie qui n’a pas été nécessairement la plus facile ».
En demandant finalement aux jeunes athlètes ce qu’il y a à retenir de bon dans cette crise de laquelle nous ne sommes pas encore extirpés, on constate que la résilience, l’acceptation et même la clairvoyance ont réussi à faire leur nid quelque part dans leur tête. La sagesse n’est pas l’apanage des plus vieux : « En sport-études, on est les seules personnes qui ont réussi à s’entrainer totalement, apprécie Emma. J’ai pu évoluer physiquement et mentalement contrairement à certaines personnes qui n’avaient pas le droit de venir s’entrainer dans un gym ou de jouer au tennis ». Pour Étienne Poupart, il faut voir plus loin que ce qu’on voit au moment présent : « Même s’il y’a des moments où on se dit qu’il n’y a plus de compétitions, on continue quand même à se pousser et on se dit, à un moment donné, ça va payer et on va s’en sortir de cette manière-là. »
Le sport comme échappatoire salutaire, c’est peut-être Félix Paré qui saura le mieux l’expliquer, assis sur le banc d’exercice sur lequel il venait de lever quelques poids lourds : « Quand on s’entraine en général, toutes nos pensées s’en vont, on est juste focussé sur l’entrainement, ce qui nous aide vraiment à passer à travers une épidémie ou des choses comme ça. » Enfin, Emmie, bien ancré sur son tapis, retient assurément la résilience, mais rappelle aussi qu’une partie de la population a peut-être été oubliée dans cette pandémie : « Je ne prendrai plus rien pour acquis, indique-t-elle. Juste de venir s’entrainer est un privilège. Je me suis rendu compte que j’étais plus résilience que je pensais et plus persévérante aussi. Mais on a beaucoup oublié les jeunes des CÉGEPS et des universités je trouve durant la covid, ce serait bien de s’en rappeler à l’avenir. »
C’est bien noté Emmie. Lors de la prochaine pandémie, n’oublions plus personne. À commencer par chacun d’entre nous.
Patrick Richard