Francis Lacombe, joueur de hockey sur luge
En février dernier, ils étaient nombreux à suivre et à encourager les athlètes du monde entier à l’occasion des Jeux olympiques de Pyeongchang. Seize jours durant, les prouesses des uns et des autres ont été diffusées et rediffusées à toute heure du jour, en plans éloignés, rapprochés et super ralentis. Puis après 16 jours de festivités, le rideau est tombé, les athlètes sont retournés chez eux et les télés se sont éteintes. Deux semaines plus tard, les projecteurs se sont rallumés, les compétitions ont repris, mais les télés, elles, sont restées bien éteintes. Très peu de plans éloignés, tout aussi peu de plans rapprochés, encore moins de super ralentis. Y a-t-il quelqu’un dans la salle qui a regardé les Jeux paralympiques de Pyeongchang ? À Saint-Zotique, pourtant, un ancien élève de l’école Léopold-Carrière suivait les matchs de hockey sur luge de l’équipe canadienne avec un immense intérêt. Francis Lacombe, 20 ans, joueur de hockey sur luge depuis sept ans, porte en lui les mêmes rêves que les jeunes athlètes de son âge : revêtir les couleurs du pays pour affronter les meilleurs sportifs de la planète.
Né dans un environnement où la pratique du sport était chose commune, Francis Lacombe commence sa vie avec les genoux disloqués, les pieds à la mauvaise place et une maladie à apprivoiser : l’arthrogrypose congénitale multiple. Résumé simplement, le jeune est hypothéqué sur le plan des articulations et limité dans ses mouvements. Ses genoux ont une flexion de 40 à 50 degrés, ses chevilles sont fixées à une orthèse, ce qui lui donne la démarche de celui qui n’a pas toujours eu une vie facile. « Mes parents m’ont toujours poussé vers l’autonomie, résume le sympathique jeune homme. Ils m’ont poussé en me disant tu es capable de le faire. Trouve une façon et fais-le. J’ai appris par moi-même. Si je ne dépasse jamais mes limites, je ne vais pas m’améliorer. Mais je ne dois pas m’user trop vite non plus. » Intimidé au primaire en raison de son handicap, il développe rapidement l’autodérision (il aime bien placer une bonne blague de genou qui ne plie pas à son interlocuteur interloqué) et entame son parcours secondaire à l’école Bourget pour sa vocation sportive et parce que ceux qui l’intimidaient n’allaient pas là.
C’est à ce moment, en 2011, qu’il s’initie au basketball en fauteuil roulant et participe au passage des Jeux du Québec. Mais en raison de ses genoux qui plient aussi bien qu’un 2×4 mouillé, il parcourt Internet et tombe sur le hockey sur luge. Lui qui a appris à patiner debout à l’âge de trois ans découvre alors un sport qui le fait rêver aux Jeux paralympiques. « La première fois, je n’avais pas d’équipement, j’étais en jeans, manteau d’hiver, je tombais tout le temps sur le côté, mais j’ai tripé, se remémore-t-il fébrilement. C’est un sport où il y a beaucoup de jeux de passes. C’est difficile de monter d’un bout à l’autre de la patinoire et on ne peut pas patiner à reculons. C’est une autre dynamique. » Cette autre dynamique, Francis l’apprivoise si rapidement qu’il se retrouve bientôt à jouer pour Équipe Québec et lorgne même une place au sein de l’équipe de développement d’Équipe Canada. Il reste naturellement des étapes à franchir, mais comptez sur l’homme pour y aller une marche à la fois : « Après ma première année, j’ai découvert que j’avais assez de force, de facilité avec la luge et le maniement de la rondelle et, surtout, beaucoup de plaisir à jouer, avoue-t-il. Tant que j’ai du plaisir, je continue à pousser et à m’améliorer. Mais plus tu montes, moins ça paraît. Ce sont des microchangements, des millièmes de seconde, mais c’est quand même une amélioration. »
C’est ainsi, à raison de deux fois par semaine, que Francis Lacombe prend sa voiture, quitte Saint-Zotique, se stationne à la gare de Vaudreuil-Dorion, prend le train, le métro, l’autobus et le reste pour se rendre à Montréal ou à Boucherville, là où existent les arénas qui autorisent la pratique de ce sport où la glace subit les assauts répétés des pics au bout des bâtons des joueurs. Quand il n’est pas sur la glace à sa position de défenseur, il s’entraîne de trois à quatre fois par semaine au Centre Multisports, poursuit ses études au Collège Montmorency en technique d’orthèse-prothèse, travaille au restaurant Pacini, lit, voit ses amis et vit la vie de n’importe quel jeune de 20 ans. Il rêve de l’Allemagne, de voyages et comme n’importe quel joueur de hockey sur pied, Francis Lacombe doit se battre contre les meilleurs pour faire sa place : « Ceux qui sont en haut sont des joueurs hors pair, avoue le jeune athlète en nommant les noms de ses modèles sur l’équipe nationale. La question du handicap va faire une différence, comme l’entraînement, les habiletés et le mental. Moi, j’ai de la vitesse à aller chercher, de la graisse à perdre, plein de choses à améliorer. Mais ce n’est pas plus facile de monter. Les élus sont rares. »
Parmi les mille questions qui viennent à la tête d’un non- initié, celle du handicap se pose : quel joueur est avantagé par rapport à un autre dans une luge ? Au-delà de l’habitude et des habiletés justement, qu’est-ce qui fait la différence dans un coin de patinoire ? Ne devient pas joueur de hockey sur luge qui veut, vidéo de Sidney Crosby dans une luge à l’appui. Le détail qui fait la différence : les jambes. L’équipe américaine, aux derniers Jeux paralympiques, illustre avec le sourire Francis, avait plus de têtes que de jambes : « Dans la luge, le coeur va pomper pour des jambes qui ne me servent pas à grand-chose, explique-t-il comme si de rien n’était. Les doubles amputés ont plus de possibilités de tirs. Ils n’ont pas leurs jambes dans les jambes ! Ils sont plus rapides, c’est plus facile de tourner dans les coins. » Les joueurs comme Francis doivent donc compenser la perte de vitesse en haussant leur jeu d’un cran, une pratique à la fois.
Au-delà du sport lui-même, Francis Lacombe livre un message universel qui dépasse le hockey, les articulations figées et les questions génétiques. Ils parlent à tous ceux qui fuient ou condamnent la différence, quelle qu’elle soit : « La différence, on la stigmatise, croit-il. Il y a une différence, je comprends, mais il faudrait l’accepter et s’adapter au point de ne plus faire de distinction ». Quant à la sédentarité caractéristique de notre société, Francis Lacombe véhicule les valeurs que lui ont transmis ses parents, soit la persévérance, la détermination et l’acceptation de la différence : « Autant sur le plan scolaire que personnel, il faut persévérer et accepter qu’on va faire des erreurs et se planter, dit-il. Ce qui m’a aidé est que je me suis relevé. Tu es capable de marcher, il y en a qui sont en fauteuil, c’est quoi ton excuse ? On se plante tous. Ça fait partie du sport, ça fait partie de la vie. Ceux qui se rendent jusqu’à ce niveau-là se sont relevés sur leurs jambes et ont continué à avancer ». Comment ne pas être inspiré par les propos du jeune athlète à qui l’on souhaite de battre les méchants Américains à Pékin dans quatre ans. Et pourquoi pas, en marquant le but gagnant, top corner de la ligne bleue, assis dans son énorme patin…
Par : Patrick Richard