Il y a de ces rencontres marquantes qui nous habitent sans plus vouloir nous quitter. Ces rencontres inspirantes qui nous rappellent la fragilité de la vie, sa laideur, mais qui dévoilent aussi toute sa beauté. Lorsque je me suis installé devant Rebecca dans la grande salle du centre Multisports André-Chagnon en novembre dernier, je ne savais pas que les mots que j’allais entendre ce midi-là allaient résonner dans ma tête le restant de la journée. Et les autres d’après. Car nous ne sommes jamais prêts pour entendre le récit d’une femme violentée par un esprit tordu.
Lorsqu’elle entend parler des cours de box-fit femme au printemps dernier, Rebecca sent un appel et s’y rend pour retrouver la forme. Une forme perdue dans les dédales d’une pandémie et dans un bout de vie passée aux côtés d’un homme troublé. C’est là que son entraîneur Paul Bourgoin l’invite à un cours d’essai gratuit d’auto-défense. Elle saute sur l’invitation et cultive lentement la confiance et la gestion de ses émotions :
« C’est vraiment le truc qui peut être utile dans la vie, admet Rebecca, on espère ne pas s’en servir, mais ce sont des choses qui peuvent avoir leur utilité en situation d’urgence ».
Cette confiance vient à point pour la jeune femme, car elle en plein processus de reconstruction. Fraîchement sortie d’une relation toxique avec un homme violent, Rebecca porte en elle les violences verbales, les menaces, et les tentatives d’humiliation comme un boulet invisible qui empoisonne le cœur. Le corps, lui, compose avec les blessures physiques infligées par des prises à la gorge et une poussée de trop sur un meuble qui l’a laisse paralysée au sol. Le dos brisé, la confiance en miette et le sommeil troublé, elle s’extirpe de cette spirale souillée et parvient lentement à rebâtir sa maison intérieure qui lui apporte l’éclairage suffisant pour garder la tête haute : « Je suis capable d’en parler sans partir dans l’émotion, parce que c’est vraiment digéré, confie Rebecca. Je vais aussi en psychothérapie pour aider à tout digérer ça et ça va super bien. Je me considère chanceuse d’avoir une certaine forme de résilience. Ça ne me tente pas de laisser tous ces événements-là avoir un impact dans ma vie, ça lui donnerait trop de pouvoir. »
Quand on regarde Rebecca suivre les conseils de son entraîneur, on ne peut en effet que saluer la résilience de la jeune femme qui a choisi de regarder devant en laissant son passé derrière. Paul Bourgoin apprécie lui aussi la volonté de sa protégée de ne plus jamais revivre ce qu’elle a vécu. À la base de ce rétablissement se niche la confiance qu’il faut regagner : « Si tu n’as pas confiance en toi, tu ne seras jamais capable de faire quoi que ce soit, explique l’entraîneur. Ce que j’enseigne est d’avoir confiance. Tu ne seras pas capable de gérer une situation si tu n’es pas capable de gérer tes émotions. » Dans la philosophie de Paul Bourgoin, qui cumule une expérience aussi riche que variée dans son domaine, apprendre à se défendre, c’est d’abord apprendre à gérer ses émotions. Ce que semble accomplir Rebecca au fil des semaines, des jours, des heures. Elle s’exprime d’ailleurs avec beaucoup d’acuité sur l’importance de ce cours à ce moment-ci de sa vie : « Je me suis fait prendre à la gorge. Dans ma tête, quand je repense aux événements, on dirait que je revis la situation, mais j’essaie de la revivre pour pas que ça finisse comme c’était. Donc, en venant ici, ça me donne la réponse à la question que je me pose quand je me refais le scénario. Ça me replonge dans l’émotion, mais ça me rassure, car maintenant, je saurais quoi faire exactement pour ne pas me ramasser dans une situation comme j’ai déjà vécu. La prochaine personne qui m’agresse, ce n’est pas moi qui finirai à terre. »
Parler de résilience dans le cas de Rebecca ne semble pas assez représentatif de tout ce qu’elle accomplit. En plus d’être une lumière inspirante pour toutes celles qui vivent l’invivable, elle pave la voie à une nouvelle vie où elle ne donne plus le pouvoir à ses pensées, à ses blessures, à ce passé auquel elle ne s’identifie plus. En parler lui a fait grand bien. Elle a trouvé l’oreille de sa meilleure amie, de ses parents, d’une ressource au bout du fil à SOS Violence conjugale. Elle a cessé de nourrir cette partie sombre pour enfin laisser jaillir sa lumière. Ses proches lui ont d’ailleurs fait remarquer qu’ils ont retrouvé leur Rebecca. Une Rebecca en meilleure forme même qu’avant la rencontre de son bourreau. Avec tout le respect que j’ai pour cette femme, de tels témoignages servent à prévenir le prochain drame : « Je ne comprendrai jamais l’humain pour faire des choses comme ça, se désole Paul Bourgoin, la gorge nouée. La seule chose que je peux faire, c’est de prendre dans mes bras la personne et la consoler et de lui dire : on va avancer ensemble et tu vas réussir. »
Le sport est parfois plus grand que les exploits qu’il procure.
Respect, Rebecca.
Si vous êtes victimes de violence conjugale, n’hésitez pas à demander de l’aide :
SOS Violence conjugale : 1 800 363-9010.
Par : Patrick Richard