Le football a longtemps traîné la réputation d’un sport de « goon » aux gros bras. À observer les célébrations d’après-toucher d’hommes musclés et souvent bardés d’un viril tatou sur l’avant-bras gauche, certains voient-là une scène rappelant peut-être les cérémonials de nos lointains ancêtres festoyant la capture d’une bête ou une victoire sur le clan ennemi. Mais quand on rencontre les gens qui côtoient quotidiennement les jeunes qui se disputent le ballon ovale sur les terrains verts des écoles secondaires, on réalise que le football véhicule avant tout les valeurs de solidarité, de persévérance et de dépassement de soi que les jeunes transporteront bien au-delà du dernier coup de sifflet.
Peu importe par quelle fenêtre on les observe, les programmes de football dans la région de Vaudreuil-Soulanges visent d’abord et avant tout la réussite scolaire des jeunes. Si quelques filles s’insèrent parfois dans l’alignement des équipes benjamin (première année du secondaire), les garçons occupent la grande majorité, sinon la totalité des différentes autres équipes (cadet en deuxième et troisième année du secondaire et juvénile en quatrième et cinquième année du secondaire) formées au sein des trois écoles secondaires publiques (la Cité-des-Jeunes à Vaudreuil-Dorion, le Chêne-Bleu à Pincourt et l’école secondaire Soulanges à Saint-Polycarpe), et le collège Bourget de Rigaud. Parmi les équipes formées d’une cinquantaine de joueurs, certains jeunes poursuivront leur parcours au CÉGEP John-Abbott à Sainte-Anne-de-Bellevue, à celui de Valleyfield ou ailleurs dans la province où le football scolaire se développe de façon exponentielle depuis une dizaine d’années. Car au-delà du jeu lui-même, précisons-le à nouveau, tous ces programmes n’ont qu’un seul et même but : permettre aux jeunes de décrocher un diplôme. « L’objectif d’un programme au secondaire est d’amener le plus de jeunes possible au collégial, spécifie Nicolas Santerre, responsable du programme de football au Chêne-Bleu. Tu as beau être le meilleur joueur de football, si tu n’es pas bon à l’école, tu ne te rendras pas loin. »
Quart-arrière pour les Gaiters de l’université Bishop pendant cinq ans, Patrick Nadeau, lui, a entraîné les Citadins de la Cité-des-Jeunes pendant huit saisons, jusqu’à ce qu’il cède sa place à Pascal Laframboise en janvier dernier. Les nombreuses heures passées à peaufiner ses stratégies et à mettre sur pied les programmes qui font aujourd’hui le succès des Citadins, jumelées aux sacrifices donnés pour la cause du football scolaire en général, lui confère l’autorité pour redorer l’image du football, emmêlée dans ses habituels filets stéréotypés. « L’image des joueurs a changé, estime-t-il. Avant, c’était des bums, des jeunes qui n’allaient pas bien à l’école. Cette année, au niveau cadet, nous avions dix joueurs avec une moyenne de 80 % et plus. » Cette façon de concevoir les programmes de football se poursuit au niveau collégial où les jeunes, physiquement plus imposants et rapides, pointent le radar sur leur réussite scolaire : « Au-delà des victoires sur le terrain, ce sont les victoires en classe qui sont les plus importantes, affirme Patrick Lauzon, entraîneur du Noir et Or du collège de Valleyfield, équipe championne de trois Bols d’or ces dernières années, récompense suprême au football collégial. Mon mandat premier en tant qu’entraîneur-chef est de faire en sorte que les jeunes obtiennent un diplôme d’études collégiales. »
Cette apparente symbiose entre les programmes de notre région, que le football soit pris en parascolaire comme à la Cité-des-Jeunes et à Saint-Polycarpe ou mélangeant sport et études comme au Collège Bourget et au Chêne-Bleu, n’est justement pas qu’apparente. Les programmes semblent porter ses fruits, comme en font foi les augmentations du nombre d’équipes au secondaire, les inscriptions au collégial et le travail acharné des entraîneurs sur le plan du recrutement. « Avant, nous avions surtout des joueurs de Valleyfield, signale Patrick Lauzon. Maintenant, Vaudreuil-Soulanges représente 50 % de notre clientèle dans notre équipe. La venue des programmes dans la région a fait une grande différence pour nous. » Issu du programme de football de l’Université du Québec à Trois-Rivières, Nicolas Santerre poursuit dans la même lignée : « Notre but est de faire grossir le football dans notre région du mieux possible avec les techniques les plus avant-gardistes. Le programme est géré par des pédagogues et ça fait une différence. Techniquement, nous sommes très très forts », ajoute-t-il.
Une telle façon d’enseigner affecte forcément l’esprit des jeunes en plein développement. Quand il s’exprime sur le football et son influence sur les joueurs, Steve Landry, entraîneur-chef au collège Bourget, parle en connaissance de cause. Formé par le Rouge et Or de l’Université Laval, il a mis la main sur deux coupes Vanier, consécration ultime du football universitaire québécois, et a inculqué la philosophie d’excellence transmise par l’institution qui l’a repêché. « Nous sommes une société de performance, note-t-il. Les jeunes ne doivent pas avoir 60, mais 80. Les parents sont exigeants, on est tous exigeants, c’est une affaire de société. Mais peu importe où le jeune s’arrête au football, il se retrouve avec un diplôme, il a tout appris, l’adversité, le leadership, et tout ça amènent tellement un bagage incroyable. Ce n’est pas enseigné dans les cours, ce que tu apprends en équipe. C’est indescriptible, personne ne peut expliquer ce que ça peut t’apporter, autant au secondaire, au collégial, qu’à l’université ». Tous les entraîneurs que nous avons rencontrés ont parlé de l’esprit d’équipe unique qui lie les joueurs. Ils ne jouent pas beaucoup, une dizaine de matchs par année, étalés entre les mois de septembre et de novembre quand on se rend loin en série, mais pratiquent constamment. Ils s’entraident, ils se confient et apprennent, en fin de compte, c’est quoi la vie. « Le football apprend tout sur la vie, avoue Patrick Nadeau. Nous avons des gars unis, qui évoluent, qui prennent leur place, qui ont un rôle précis à jouer et qui ont une bonne tête sur les épaules. On forme des hommes. » Ces mêmes hommes qui, devenus grands et plus costauds, reviennent sur les terrains montrer leur savoir-être aux plus jeunes, là où à l’écart, sur les lignes de côté, un entraîneur passionné, dévoué et nostalgique pense tout bas, entre un botté et une échappée :
« Dans mon âme et dedans ma tête
Il y avait autrefois
Un autre que moi ».