« Depuis qu’j’suis né qu’joue au hockey comme tous les p’tits gars dans mon quartier »
Contrairement au personnage dont parle la chanson Hockey du défunt groupe Beau Dommage, je ne rêvais pas, comme la suite de la chanson, de gagner la coupe Stanley. Pour toutes sortes de bonnes et de très bonnes raisons, j’ai lâché ce sport tôt, ou peut-être est-ce lui qui m’a lâché? J’ai plutôt poursuivi mes exploits dans la rue, les cours d’école, les patinoires extérieures et aujourd’hui, dans les gymnases d’ici et de là, mais rarement au-delà d’ici. Je suis assez vieux pour avoir souvenir (ou peut-être aimé-je croire que je m’en souviens) du but de Guy Lafleur contre les Bruins tard en 3e période lors du 7e match de la demi-finale en 1979 (sur une passe de Lemaire, ça ne s’invente pas). En gros, j’aimais et j’aime encore le hockey, parfois contre mon gré.
Au Québec, le refrain s’est usé, le mot hockey charrie un lot d’émotions consubstantielles (appréciez le lien avec la religion) qui encouragent l’apprenti, mais découragent le profane. Ainsi, quand je me suis assis avec l’équipe du Centre Multisports pour parler des sujets de ce magazine, le hockey est arrivé sur la table aussi subtilement qu’une Zamboni dans une cérémonie funèbre : « J’aimerais savoir s’il y a vraiment une particularité associée à ce sport, selon le point de vue des parents », ai-je avancé comme maigre argument. Comprenez : je cherchais seulement une façon d’aller à l’aréna, moi, papa de quatre filles qui croit bêtement qu’une petite fille, ça ne joue pas vraiment au hockey. Pas pour le match lui-même, ni même l’odeur de la glace, mais pour le côté religieux dont je soupçonne la présence. À l’aréna de Vaudreuil-Dorion, un samedi, j’ai rencontré des parents passionnés. Laïcs, mais passionnés.
Le match opposant les Vikings de Vaudreuil-Dorion contre les Quelque chose d’Huntingdon (mes excuses aux Huntingdonais, j’étais en mission) de niveau pee-wee B (les enfants ont 11-12 ans) venait de se terminer à l’avantage des premiers quand j’ai interrompu une conversation entre Patricia Quesnel et Martin Séguin. Lui entraîneur, elle aussi. J’oublie mon parallèle avec la religion et je pose plein de questions en même temps, trop heureux de parler à des vrais parents de vrais enfants qui jouent au vrai hockey : pourquoi êtes-vous là, pourquoi faites-vous ça, avez-vous encore une vie et montrez-moi un parent fou que la police arrête tout le temps. Le vacarme de la Zamboni rendait la conversation encore plus prenante : « Initialement, c’est le parent qui ouvre la porte, m’a scandé Pascale Quesnel dont la fille venait de jouer. S’il poursuit, c’est l’enfant. Je ne l’oblige pas, je les inscris de mon propre chef. » « Quoi? Votre fille vient de jouer? Que j’ai pensé bien bas alors qu’elle m’a répondu « Arrive en ville! » d’un regard perçant. Tout se bouscule dans ma tête et les toutes petites traces de machiste qui me restaient des années 1980 s’évaporent dans le tumulte de la blanche surfaceuse. « Il y a de plus en plus de filles qui jouent dans la région », m’explique gentiment la maman de trois enfants, tous trois joueurs de hockey. Bien sûr. Je venais de photographier des joueurs aux cheveux trop longs pour être des garçons au banc des joueurs/joueuses. « Je viens de Sherbrooke où la ringuette n’existe pas, poursuit l’entraîneuse. Il y a donc beaucoup de hockey féminin. » Tiens donc… Une corrélation probable entre la pratique de la ringuette et celle du hockey féminin. Mais je m’éloigne un peu de mon angle, soit celui du hockey comme vecteur de puissantes émotions par l’intermédiaire du regard de parents un peu fous de passer trois saisons par année dans les estrades : « Ici, au Canada et au Québec, les enfants voient tout le monde jouer, ils voient leurs chums jouer, ils veulent jouer et pogne la piqure », intervient Martin Séguin dont les deux enfants jouent aussi au hockey. « Nous nous ne faisons que leur donner des outils. »
Tranquillement, j’en arrive au cœur de la discussion, soit de découvrir cette particularité, si elle existe, inhérente à la pratique du hockey. Y a-t-il autre chose que l’émotion d’un peuple pour son sport national? « On le joue, mais on ne l’écoute pas, clarifie Pascale Quesnel. On le vit, on le joue dehors, en dedans, dans la rue, on le joue dans l’aréna, mais ils ne font pas juste ça. Et ça pourrait être n’importe quoi d’autre. Moi, ça l’air pire parce que j’en ai trois, mais les autres sports sont aussi prenants, pas tous, mais certains oui ». Je pense à ma fille qui nage cinq fois par semaine et je ne me souviens pas avoir vu une bagarre de parents dans les estrades pour autant. Ni pendant un cours chez Gymini, ni lors d’un match de soccer, ni même dans un cours d’éveil à la danse. Mais on m’explique qu’émotivement parlant, ça dépend des parents, qu’il y a toujours des exceptions pour confirmer la règle, que c’est notre sport national et qu’il y aura toujours un parent un peu fou quelque part, mais sans plus. Cela est d’autant plus vrai quand on monte dans les doubles lettres et dans les catégories (un jour prochain, en personne ou en papier, nous reparlerons du hockey mineur et je pourrai alors longuement détailler pour vous les catégories atome, pee-wee, bantam, les lettres A-B-C, les doubles lettres AA, BB, CC et l’intensité ainsi que les coûts qui semblent augmenter au rythme du développement et des talents de notre enfant. On joue et on s’entraîne plus souvent dans les doubles lettres, grossièrement expliquées). Je reviens à Martin Séguin à qui je demande un simple pourquoi. Pourquoi ce dévouement, Monsieur Martin? « Pour décrocher de la routine familiale, de la maison, l’école », témoigne l’entraîneur qui a aussi joué jusqu’au Junior AA. « Mon gars a hâte d’aller à l’aréna. Quand il ne joue pas, il cherche des glaces. » Je comprends tellement.
Notre conversation aurait pu continuer une journée ou deux quand arrive l’entraîneur des Vikings de Vaudreuil-Dorion, Éric Doyle en personne, déguisé pour l’occasion en viking (nous étions le 31 octobre…). Il est accompagné de Laurie Chiasson qui s’est retrouvée à jouer au hockey parce qu’elle « trouvait ça cool de voir jouer son frère et ça m’a donné le goût » et de son fils Thomas qui est « allé voir la ligue de mon père et ça m’a donné le goût de jouer ». Le père a joué jusqu’au junior, le grand-père a vu jouer ses petits-enfants jusqu’à la veille de son décès l’an dernier. Chez les Doyle, le hockey est une affaire de sang. Éric est donc une bonne personne à qui demander si le hockey a ce petit quelque chose de particulier et si oui, quel est ce petit quelque chose : « Moi je dis oui parce que nous sommes passionnés de hockey au Québec », accorde le gardien de but de formation. « Mais tu irais aux États-Unis, ce serait le basketball et le football. Nous, ici, le hockey nous passionne, ça vient chercher les émotions, autant chez les parents.
Dans certains niveaux, les parents voient des occasions favorables pour leur enfant qui devrait jouer deux lettres, ce n’est peut-être pas nécessairement pour le bien-être des enfants. » Voilà une remarque intéressante qui rejoint celle de mon échantillon rétréci de parents dévoués précédemment interrogés. Le hockey véhicule l’émotion, une émotion enracinée dans un lointain passé où, me disait mon oncle, les gardiens protégeaient les buts avec des catalogues d’Eaton en guise de jambières et où une bonne bouse de vache gelée remplaçait la rondelle de caoutchouc. Autre époque, autre équipement. Si l’intensité des parents augmente selon les niveaux et les catégories, est-ce dire qu’on fait miroiter un rêve inaccessible aux jeunes joueurs d’aujourd’hui? « À ce niveau-là, non, croit Éric Doyle en parlant de l’équipe qu’il dirige. On véhicule plus un état d’esprit, un engagement, comment être en groupe. Cette année, nous sommes chan-ceux, nous avons deux filles, ce qui amène une nouvelle dynamique. »
Au bout du compte, je constate que le hockey, comme à mon époque de petit gars avec ses bâtons de bois, et comme pour bien d’autres sports aujourd’hui, est une très bonne façon de passer du temps avec et pour son enfant, de lui donner la possibilité de se développer le corps et l’esprit, et de créer de nouvelles amitiés entre parents dans les odeurs des glaces d’ici et d’ailleurs. Les enfants jouent et ne se posent pas toutes ces questions d’adulte. Mais comme dans la chanson…
Des fois j’aimerais l’dire à TV. C’que c’est pour vrai jouer au hockey. On s’en reparle, entre deux périodes, dans les hauteurs des estrades.
Par : Patrick richard